•Langsaxe mérovingien à lame damassée, inspiré par une lame retrouvée à Les Bordes (71), courant du VIIème siècle•

 

C’est un très vieux rêve qui prend forme pour moi avec ce modèle.
Un vieux rêve car j’ai découvert cette lame ainsi que bien d’autres du même type dans un livre appelé « Du silex à la poudre » paru en 1990. Dans cet ouvrage il est fait mention de nombreuses trouvailles archéologiques: des armes de pierre et d’os de la Préhistoire, des centaines d’épées datant de l’Âge du Bronze et beaucoup d’autres du début de l’Âge du Fer en passant par le Haut Moyen-Âge jusqu’au XVème siècle.
Mais ce sont bel et bien les épées à un seul tranchant ou semi-spathas qui on marqué mon esprit il y a plus de 20 ans maintenant.
On les connais surtout par le nom « scramasaxe » ou même « langsaxe » lorsqu’il s’agit d’un modèle à longue lame comme ici.

Le travail que je présente ici est une interprétation, non une reproduction exacte.
Il s’agit d’un modèle librement inspiré par une lame seule retrouvée dans la Saône, à Les Bordes (petite commune de Saône et Loire).
Une lame que l’on peut dater de la fin du VIème siècle et/ou du courant du VIIème siècle. L’endroit où cette lame a été trouvée faisait autrefois partie du royaume Burgonde qui s’étendait aussi au Nord de l’Europe et où certaines lames similaires ont également été découvertes.

Ces objets restent mystérieux encore de nos jours car ce sont à priori les seuls types d'épées connues en Europe ne possédant pas réellement de garde ni de pommeau qui permettent à la main de rester bien calée, sans risquer de glisser lors de leur utilisation.
En effet, depuis les premières lames longues de bronze à double tranchant, les épées ont toujours été munies d’une poignée ergonomique possédant des extrémités servant d’arrêtoir (en métal, en bois, en corne, os, etc...).

Ici, il n’en est rien, la poignée se retrouve généralement d’une largeur proche de celle de la lame et sur les longs modèles retrouvées en Saône et Loire, on ne trouve aucune trace de montage.
De ce fait, il semble clair que la poignée d’origine n’était faite que de matériaux organiques.

 

LA RÉALISATION DE LA LAME:

Pour cette réalisation, je suis parti de 3 loupes de fers et d’acier de bas-fourneau artisanal réalisés par des amis métallurgistes (parce l’on ne peut pas tout faire).
-Une loupe de fer très faiblement carburée issu de la réduction d’hématites et de sidérites.
-Une loupe de fer phosphoreux (contenant 2% de phosphore environ) issu de la réduction d’un minerai de fer des marais.

-Une loupe d’acier dur fortement carburé à partir d’hématites.

L’une des clés à connaitre pour la réalisation d’un objet de ce type réside dans l’emploi de fer phosphoreux. Un fer utilisé dès le début de l’Âge du Fer et que l’on retrouve très souvent dans les armes et outils antiques et médiévaux.
Pour commencer à ce sujet, c’est un fer plutôt rigide et cassant (très difficile à forger) qui mélangé à du fer plus tendre (sans phosphore) permettait d’augmenter la rigidité/dureté des outils ou des armes avant la pleine maîtrise et la généralisation de l’acier trempé.

Ainsi, on retrouve beaucoup de lames de couteaux même tardives et qui sont réalisées de cette manière à l’aide de barreaux feuilletés parfois de façon très chaotique avec du fer tendre et du fer phosphoreux.
Pour avoir tenté l’expérience, avec un mélange de ce type (fer et fer phosphoreux), il est possible d’obtenir une lame de couteau au dos et au tranchant quasiment aussi flexibles qu’avec un acier trempé, juste par écrouissage de la matière (martelage à froid).

Un tranchant très facile d’entretien même si peu durable.

La dureté est en effet ici la seule vraie limite de ce mélange.

On est très loin d’un acier carburé ayant subi une trempe.

 

Pour en revenir au fer phosphoreux, une autre particularité de ce matériau est qu’il contribue à jouer sur les contrastes des lames à structure damassée comme ici.
Son aspect clair, presque blanc est une caractéristique très intéressante pour ce type de travail.
On continue de le retrouver mélangé à d’autres nuances pendant assez longtemps à l’intérieur des lames damassées, bien avant nos aciers modernes au nickel utilisés actuellement.

De nos jours, c’est un fer qui n’est plus utilisé car trop cassant et trop complexe à forger, mais pour la reconstitution d’artefacts de ce type, c’est une matière incontournable à mon sens.

Le travail commence avec un affinage des 3 loupes en prenant soin d’effectuer un nombre de plis suffisamment élevé pour le forgeage du chevron damassé qui viendra par la suite (le nombre de plis à réaliser dépend en grande partie du comportement de chaque loupe).
En effet, le fer phosphoreux étant un fer plutôt capricieux lorsqu’on le torsade, il est nécessaire d’obtenir une matière suffisamment homogène avant le forgeage des chevrons.
Une fois les loupes affinées, j’ai commencé l’étirage des différents barreaux nécessaires à la construction.
Ces 3 nuances m’ont permis de construire 5 barreaux soudés ensemble à chaude portée par martelage.
Dans cette lame, chaque nuance trouve sa place:
Le fer peu carburé sert à former les deux barreaux qui prennent en « sandwich » les deux torsades damassées qui elles sont formées avec du fer phosphoreux et de l’acier dur. Acier dur que l’on retrouve également sur le tranchant.
Pour ce type de réalisation il ne faut pas hésiter à travailler avec peu de matière.

J ‘ai construit un barreau destiné à forger les 2 torsades, un barreau de 8 couches d’acier et de fer phosphoreux, avec 4 couches de chaque nuance.
Ce barreau est replié en 2 (fer contre fer), ce qui nous donne maintenant 15 couches réellement visibles.

À l’aide de ce barreau, je continue avec l’étirage de 2 barres carrées qui sont ensuite torsadées en inversant le sens entre chaque (8 tours environ ici, je ne prends pas le risque de pousser trop loin avec le phosphore).
Ces torsades sont ensuite forgées au carré et soudées l’une contre l’autre. Le chevron est né! Maintenant vient le moment d’assembler les 3 autres barreaux avec ce chevron damassé par soudure à chaude portée, par martelage.

À ce stade, l’ensemble mesure environ 50 cm de longueur et pèse environ 1400 grammes. Les soudures doivent se faire par segments de 10 à 15 cm afin de limiter le nombre de chauffe et ainsi prévenir le risque d’oxydation importante.

Une fois l’assemblage terminé et la vérification des soudures, je commence le forgeage de la lame proprement dite en débutant par l’étirage de la soie (toujours assez longue sur ces modèles). Puis je continue par le formage du profil en couteau.
Il faut rester organisé pour optimiser chaque chauffe et ne pas hésiter à battre la matière au maximum pour que la lame s’élargisse et que le tranchant prenne forme rapidement.

Une fois la lame forgée au plus près, je prends le temps de blanchir (poncer) la surface avant trempe.

Après la trempe, la dureté au tranchant se situe à 60 hrc environ, un bon point pour la suite. J’effectue l’opération de revenu qui permettra de garder une dureté de 55 hrc environ, dureté tout à fait cohérente avec la période, même si on peut trouver plus dure. Ce qui compte avant tout, c’est le profil, plus qu’une trop grande dureté sur ce type d’objet.

 

S’ensuit le ponçage et le polissage de cette lame avec une gouttière creusée sur le chevron et sur chaque face afin de faire ressortir par la suite, les décors damassés.

 

RÉALISATION DE LA MONTURE:

Je serai bref là-dessus car il s’agit finalement d’un montage de coutellerie assez classique.
Le but ici était d’obtenir un jeu de contrastes « noir et blanc » entre lame et manche.
J’ai choisi de partir sur une pointe de corne de vache et de l’os du même animal pour les différentes parties, en alternant les couleurs. Mais historiquement, les pièces originales étaient généralement construites sur des bases de matériaux clairs (bois blancs, os, etc...).
J’ai aussi disposé quelques intercalaires en argent réalisées à partir d’un lingotin que j’ai coulé puis laminé.

Le montage se termine par une mitre en corne cloutée à l’aide de 5 petits clous forgés en argent également.

 

Quelques caractéristiques.
Longueur totale: 82 cm
Longueur de la lame: 62,5 cm
Largeur de la lame: 4,2 cm
Longueur de la poignée: 19,5 cm
Point d'équilibre situé à 18 cm de la garde

Poids: environ 950 grammes

 

Pour finir, je dirai qu’il s’agit d’un objet très puissant lorsqu’il est tenu en main.

La lame forte de ses 8 millimètres d’épaisseur au dos possède une très grande rigidité.

Le tranchant se termine à zéro avec un profil légèrement convexe comme il est de coutume sur les lames de ce type et les épées en général.
Un objet que j’ai eu beaucoup de plaisir à réaliser et sur lequel j’ai pu apprendre beaucoup de choses (encore une fois).